Cérémonie
Pour
elle, tout était parfait. Les fleurs blanches et roses dégageaient
un parfum si doux, et l’arrangement choisi par sa cousine fleuriste
mettaient la chapelle en valeur, sans toutefois être trop présentes.
Le soleil dardait ses rayons à travers les vitres et réchauffait
les épaules, illuminant les livres de cantique qui étaient déposés
sur les bancs, prêts à être utilisés par l’assemblée pour
chanter ses hymnes favoris. L’organiste, la pianiste et quelques
autres musiciens avaient une discrète dernière répétition dans le
coin gauche de l’estrade, tandis que sur la droite l’évêque et
ses conseillers accueillaient les nouveaux arrivants.
Julianne
observa quelques minutes la salle depuis l’entrée de service, sans
que personne ne s’aperçoive de sa présence, puis se décida à
rejoindre la pièce attenante où sa sœur Sarah finissait d’habiller
et de coiffer Léon. Dans son beau costume tout neuf, il était
magnifique. Elle eut l’impression d’être ramenée au jour de
leur rencontre, un soir d’été dans le jardin du Luxembourg.
Il
marchait d’un pas pressé, sûr d’arriver en retard pour assister
à la Première d’une pièce de théâtre à l’Odéon, quand il
avait trébuché sur le trépied de son appareil photo. Il n’y
avait pas eu de dégâts matériels. Juste un jeune homme rougissant
et une jeune fille timide qui n’osaient se parler ni se quitter des
yeux. Il l’avait aidé à ranger son matériel de photographe et
l’avait complimenté sur le choix de celui-ci. Julianne avait
découvert que le bel inconnu était aussi photographe, mais simple
amateur alors qu’elle était déjà une professionnelle. Son prénom
l’avait fait rire. Elle avait toujours associé Léon à « lion »
et l’homme aux cheveux blonds-roux et bouclés, avec ses lunettes
carrées, lui apparaissait plutôt comme un cocker que comme le
seigneur de la savane.
De
rendez-vous en balades, ils avaient commencé un album commun, et un
projet d’exposition conjointe était également né. Le dernier
jour, alors que la galerie se vidait de ses derniers visiteurs, Léon
avait donné une photo à Julianne. Dessus, deux mannequins dans une
vitrine : un costume gris clair et une robe de mariée blanche
en dentelle et soie. Elle avait pris son appareil photo, avait écrit
sur une feuille qui trainait « Oui » et puis avait pris
un cliché. Le mariage fut fixé pour l’anniversaire de leur date
de rencontre.
Un
bruit sourd tira Julianne hors de ses souvenirs. Un petit garçon
venait de refermer assez brutalement un piano dans une des salles
voisines. Laissant Léon et Sarah à leur discussion, Julianne décida
de se promener dans les couloirs au milieu de ses amis. Elle vit du
coin de l’œil le petit Gabriel, près du piano, se faire sermonner
par sa mère. Ah, comme elle était heureuse de ne pas avoir
d’enfants aussi énergiques que celui-là.
Un
peu plus loin, elle croisa ses deux conseillères. Etre Présidente
des Jeunes Filles de sa paroisse n’était pas de tout repos, mais
elle n’aurait refusé son appel pour rien au monde. Pouvoir
partager ses connaissances avec ces adolescentes, les faire rire lors
d’activités, les aider dans ces années si difficiles où les
choix qu’elles doivent prendre ont tant d’importance pour leur
avenir, tout cela (et bien d’autres choses encore) étaient une
merveilleuse opportunité pour elle de s’améliorer et de se
découvrir des talents. Si à 14 ans sa mère lui avait dit qu’elle
apprendrait un jour le crochet, elle aurait certainement levé les
yeux au ciel. Et pourtant, pour une brunette aux yeux verts qui
voulait absolument confectionner des habits pour les futurs bébés
de ses sœurs et belles-sœurs, elle s’y était mise. Toutes les
deux, elles avaient travaillé et au bout de trois mois, elles
avaient pu fièrement présenter au reste de la classe leur première
paire de chaussons. Depuis, Clarisse et elle étaient surnommées les
« Crocheteuses ». Pas une seule naissance sans une de
leurs créations !
En
parlant de Clarisse, où pouvait-elle bien être ? Elle ne
l’avait pas vu parmi les musiciens. Pourtant elle devait jouer de
la flûte traversière, c’était prévu ainsi ! Julianne hâta
ses pas, à la recherche de sa jeune amie. Rien dans la salle de jeux
au sous-sol, ni à l’étage, nulle trace de Clarisse dans le jardin
ou sur le parking. Inquiète, Julianne repris la direction de la
chapelle.
Lorsqu’elle
entra dans la salle principale, elle s’aperçu que la cérémonie
allait commencer. Léon était au premier rang, assis à côté de
Sarah. Clarisse était au pupitre, prête à jouer le morceau
qu’elles avaient tant de foi interprété ensemble. Dès les
premières notes, les proches de Julianne se saisirent de mouchoirs.
Clarisse retenait difficilement ses larmes. Heureusement pour elle,
la pianiste avait pris le relais pour deux couplets. Le morceau fini,
Clarisse s’approcha du micro et s’adressa à l’assemblée :
« Avant
de laisser la parole à Carole Periaux pour la prière d’ouverture,
je souhaitais préciser que je ne jouerais plus jamais le cantique Je
rencontrais sur mon chemin.
Julianne et moi l’avons appris ensemble, joué ensemble et
maintenant, il m’est impossible de souffler ces notes-là dans ma
flûte sans elle à mes côtés. Elle m’a aidé lorsque j’étais
perdue dans les méandres de mon adolescence, elle m’a encouragé à
ne pas baisser les bras, à développer mon potentiel de Fille de
Dieu… Elle a été une seconde mère pour moi qui ait perdu la
mienne très jeune. Cette cérémonie est pour elle et pour chacun
d’entre nous afin de garder à jamais sa bonté et son charisme
dans nos cœurs. Merci. »
Les
larmes qui coulaient sur les joues de Julianne se mêlaient au
sourire resplendissant qu’elle adressait à la jeune femme. Elle
était si fière d’elle, de la femme studieuse, douce, endurante et
sensible qu’elle était devenue. Non, elle n’était pas sa mère,
d’ailleurs la différence d’âge n’était pas assez grande pour
qu’elle le soit. Mais le lien qui les unissait s’y apparentait
pourtant. Un grand avenir s’ouvrait devant elle et elle savait que
Dieu rendrait ses pas fermes et sa main tendre pour avancer sur le
chemin qu’elle avait choisi. Oui, intégrer un prestigieux
orchestre allait être une grande bénédiction pour elle et pour
tous ceux qui allaient découvrir son talent.
Perdue
dans ses pensées, elle n’entendit même pas son amie Carole prier,
ni même l’évêque adresser un discours. Ses yeux se posèrent sur
le nouvel orateur : son ami Patrick, son confrère de
reportages, son soutien dans les moments de doutes professionnels,
celui qui avait mis six ans à admettre que les sentiments qu’il
éprouvait pour la sœur de sa meilleure amie étaient plus que
amicaux… Pfu ! Mais quels empotés ces deux-là, en y
songeant ! La voix tremblante de Patrick narrait les bons
moments qu’ils avaient passés ensemble et sa reconnaissance pour
cette petite boule d’énergie à la timidité maladive, qui avait
su surmonter ses frayeurs pour évoluer et devenir une femme
respectée dans le monde du journalisme et de la photographie. Il
montra un portrait de Sarah et lui que Julianne avait réalisé lors
de leur mariage, trois ans plus tôt. Il expliqua combien cette photo
lui était précieuse, car avant elle, il n’avait jamais su être à
son avantage sur un cliché. Pour un photographe, c’était tout de
même rageant… Julianne gloussa à la mention de ce trait
particulier de son ami.
L’orchestre
joua Tu
éclaires le chemin,
deux autres proches de Julianne adressèrent quelques mots puis vint
enfin le tour de Léon. Digne, serein, il ne dérogea pas à sa
règle de conduite pour tous ses discours : « Droit au
but, droit au coeur ».
« Julianne
était, est, et sera toujours mon rayon de soleil et de lune. Son
sourire et sa joie de vivre illuminaient mes jours. Sa tendresse et
sa ténacité m’ont évité bien des nuits de déprimes lorsque mes
problèmes de santé ont commencé. Je pensais partir avant elle.
Encore une fois, elle a été plus espiègle que moi. Je n’ai
aucuns doutes qu’elle se trouve près de Notre Père Céleste, à
nous encourager à aller de l’avant et à continuer nos vies. Je
ne sais pas quand je pourrai, quand nous pourrons, la revoir de
nouveau. Peu importe la date, nous nous devons de poursuivre notre
chemin et préserver l’héritage qu’elle nous a légué :
son œuvre de photographe, sa générosité, et son témoignage de
l’Evangile. Nous étions un couple « bien dans sa vie »
au début de notre mariage, et depuis notre rencontre avec l’Evangile
de Jésus-Christ, nous avons été un couple heureux et ce, malgré
les épreuves traversées. Elle a été la première à vouloir se
convertir, et comme elle avait toujours raison (même si j’avais
beaucoup de difficultés à le reconnaitre), j’ai vite suivi. Nous
n’avons jamais regretté notre décision. Aujourd’hui, je peux le
dire avec encore plus de certitude : Dieu m’a bénit bien plus
que je ne l’aurais imaginé, en me permettant de rencontrer
Julianne et d’avoir vécu à ses côtés pendant seize
merveilleuses années. »
Léon
baissa les yeux vers le cercueil de merisier qui contenait son
épouse. « A bientôt mon Amour. Fais preuve de patience, tu
sais combien j’ai tendance à être en retard pour tous les grands
évènements de ma vie. » Julianne sourit, amusée. Né
dix jours après terme, un quart d’heure de retard le jour de
l’oral du bac de français, de même que le jour de notre
rencontre, sans oublier le mariage où l’adjointe du maire était
passablement agacée d’avoir dû chambouler l’ordre des mariages
parce que tu étais coincé dans les embouteillages… Ah, ça, tu
n’en rates pas une… sauf aujourd’hui. Tu as été ponctuel. Tu
as fait des efforts pour être à cheval sur les horaires comme je le
suis. Merci mon amour…
Il
regarda à nouveau la foule : « Merci d’être venus pour
rendre un dernier hommage à ma bien-aimée Julianne. Puisse Dieu
nous aider à garder son souvenir intact dans nos mémoires et nos
cœurs. »
A
pas feutrés, Julianne s’avança jusqu’au banc où était assise
sa sœur. Elle lui chuchota à l’oreille « Je serais toujours
là petite sœur. Nous nous reverrons un jour, comme nous nous
l’étions promis. Je t’aime. » Puis elle lui effleura la
joue. Sarah étouffa un sanglot et porta sa main à son visage.
Patrick la pris dans ses bras pour la réconforter.
« Chéri,
elle est là. Elle m’a dit au-revoir ! » Un sourire
mouillé se dessinait sur ses lèvres. Mais Julianne ne l’entendait
déjà plus. Son temps était écoulé. La cérémonie était finie,
elle savait que les secondes étaient comptées avant de retourner
dans la douce atmosphère des cieux. Elle se planta devant Léon,
imperturbable malgré les personnes qui passaient au travers d’elle,
frissonnant à son contact sans savoir pourquoi. Sa main gauche
caressa ses cheveux tandis que la droite se posa sur son costume,
juste au-dessus du cœur. Il retint son souffle, puis murmura, les
yeux dans le vague : « Julianne ? » Sur la
pointe des pieds, elle déposa un baiser sur ses lèvres. « A
bientôt mon Lion adoré » murmura-t-elle au creux de son
oreille. Une larme coula le long de la joue de son époux, il l’avait
entendu.
Se
sentant partir, elle se tourna vers la salle. Une main sur son
cercueil, elle poussa un soupir de soulagement. La vie allait
reprendre pour sa famille et ses amis. Léon la rejoindrait dans peu
de temps selon ses sources (les plus fiables qui soient !) et
ils pourraient continuer leur histoire pour l’éternité. Oui, en
cet instant, c’était certain. Pour elle, tout était parfait.
J'ai beaucoup aimé le parallèle fait. C'était habile.
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